20 : Vestiaires - 3ème et dernière partie
La scène de la douche a
tourné court. Le peu qu'elle a duré, je suis resté comme un idiot à bien
faire attention à ne pas regarder ce que j'avais très envie de voir, et
revoir, et m'en sentir tout près... Prêt de craquer ? Faudrait être
fou. Et puis, il y avait l'autre. Tant pis pour l'autre ! je le prends
avec s'il le faut ; si c'est le prix à payer pour se taper Maël. Ouais,
je deviens un peu grossier et délirant. J'aurais voulu t'y voir, nu à
côté d'eux (dont lui), nus aussi. Sérieux, ça fait trop. D'un côté,
c'est un cadeau de la Providence, de l'autre, un événement accidentel
propre à me faire souffrir. D'abord de la tentation, puis du remords de
ne pas y avoir succombé.
Ils sont partis les
premiers. J'ai failli rester à me masturber à la place où IL était...
mais j'ai spontanément été happé par son sillage, sans résister ni
réfléchir, me laissant embringuer à sa suite, en gardant en ligne de
mire son joli cul en mouvement. Ce fut très fugitif, mais c'est imprimé
durablement dans ma mémoire.
Je me suis essuyé vite
fait et ai rapidement enfilé de quoi couvrir mes fesses. Je sais bien
que la vraie stratégie eût plutôt consisté à les laisser à l'air libre
de son regard, en espérant qu'une simple œillade puisse suffire à
susciter un intérêt, même minime ! si ce n'est une certaine attirance.
Mais pour cela il faut avoir des couilles... et j'ai planqué les miennes
au fond de mon manque de courage, trop intimidé par LUI pour prendre la
moindre initiative.
C'est alors que je l'ai
vu me mater. Me mater, je veux dire au dessous de la ceinture. Et, pas
despi, en loucedé, mais carrément, franchement, sans s'en cacher. Et
avec le sourire s'il-te-plaît ! Et quel sourire...
― Il est bien ton boxer. Ça vient d'où ?
― Ben, c'est un Freegun...
― Ah oui, j'suis con, c'est marqué dessus...
Putain, il exagère à me
parler de ça. Si je bande, je suis foutu... et s'il continue, c'est bien
ce qui va arriver ! Il a continué : « Et, on est bien dedans ? » Là,
j'ai pensé : « On serait bien dedans, tous les deux. » Ou : « Te gênes
pas pour y faire un tour. » Ou : « Pas aussi bien que dans le tien. » Ou
: je sais plus quoi, parce que j'avais plus la tête à penser à quoi que
ce soit, à part à des trucs impensables.
Mais bon, je le connais :
il est 100 % nature, et n'est gêné par rien. Et là, il ne s'intéresse
pas du tout à mon intimité, mais juste il parle chiffon – chose que
j'aurai cru invraisemblable. Il aurait aussi bien pu me dire : « Je peux
l'essayer ? » et je l'aurais enlevé, et lui le sien, et il l'aurait
mis, et m'aurait demandé : « Comment tu trouves ? Ça me va bien, on
dirait, non ? » « Tellement » que j'aurais répondu. Et ça lui aurait
fait plaisir. Et il aurait rigolé, juste en dehors de la réalité, là où
tout est beau et possible. Arrête Maël, arrête ! Un vieux chiffon sale,
ça t'irait à merveille... Parce que TU ES une merveille ! et que tout
est merveilleux, sur toi et chez toi.
C'est débile d'être
amoureux. Surtout d'un hétéro. Tu me diras, si ça se trouve... STOP !
Ces rêves de petites filles, on les a tous fait, nous les homos. Mais
chez nous, dans nos vies, les citrouilles restent des citrouilles, et
les crapauds des crapauds, et les BG des BG pas pour nous – mais plus
pour les filles moches (comme je le dis bêtement au billet 17). C'est
clair qu'il y a plein de BG chez les gays ! Mais le problème c'est qu'il
n'y a pas beaucoup de gays...
Il n'y a pas grand chose
à dire de plus. Chacun s'est rhabillé et a filé de son côté. Ils sont
partis ensemble, et j'ai trouvé ça injuste. Mais ça n'est pas injuste,
c'est juste la vie des autres qu'on envie facilement, parce qu'on
dénigre la sienne tout aussi facilement. Aucune vie n'est pareille, et
elles ne peuvent qu'au mieux se croiser. Ce jour-là, la sienne a
traversé la mienne ; les nôtres ont fait une croix, et j'en reste
marqué. Le pire, c'est qu'elle s'effacera, tôt ou tard. C'est pour ça
que j'écris. C'est un petit mémorial de mon adolescence. Adulte, ça me
fera sourire... Alors, je préfère lui dire tout de suite, à ce "moi"
adulte, que c'est juste un grand con sans cœur, et qu'il me fait honte à
ne pas respecter ce qu'il a été ; ce que je suis, actuellement, comme
je peux : juste un petit homme cerné par tout ce qui est, tandis que
"tout ce qui est" n'est pas à ma portée.
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