19 : Vestiaires - 2ème partie
J'ai vu la scène au
ralenti, avec une bande son totalement brouillée, comme si c'était dans
l'eau. En un éclair – et quel éclair ! – Maël avait enlevé son maillot
de foot et T-shirt pour mettre à jour sa poitrine, son ventre. Tout est
bien dessiné. Un peu musclé mais pas trop. On voit bien les abdos quand
même. Pas de poils, sauf l'esquisse d'un filet plus sombre, prenant sa
source au nombril et descendant tout droit son cours vertigineux vers
une luxuriance où l'on ne pourrait que s'y perdre... Les épaules sont
solides et forment un très bel ensemble avec les bras, dont les muscles
sont bien visibles au moindre mouvement, et Dieu sait que c'est un
garçon mouvementé ! Tu m'étonnes qu'il provoque des remous... Je suis
happé dedans, dans son sillage, et ne peux plus contrôler aucun cap,
déboussolé.
Le visage illuminé par
la blancheur de son sourire, face à face, il a abaissé le bas, d'un coup
rapide, pour filer dans la foulée vers la salle de douche collective.
J'ai pris deux claques qui m'ont sonné : avoir vu (même subrepticement)
l'ensemble de sa virilité, et dans le même élan, ses fesses gracieuses
exposées mais filantes comme un astre à l'attraction irrésistible. Je
suis resté un temps, bouche bée, tétanisé, sidéré. Je fixais son tas de
vêtements d'où émergeait son boxer rouge, attirant comme un fruit
défendu. J'ai eu envie de le prendre, pour le sentir... J'ai pas osé,
mais je l'ai quand même touché, du bout des doigts tremblants. C'est là
qu'une voix intérieure m'a piqué le cul pour me bouger et bondir le
rejoindre, aussi nu que lui.
Hélas, c'est "aussi nu
qu'eux" qu'il fallait dire, car l'autre y était également. J'ai rien à
dire sur lui. Je veux dire sur son corps à lui. J'y ai jeté un œil, mais
machinal, instinctif. Bon, ok, c'est un garçon, je confirme, mais à
part ça... Il faudrait que l'on soit juste seuls pour que je m'y
intéresse un peu, mais c'est tout. Lui ne s'intéresserait évidemment pas
à moi ! au contraire... Il aurait tort, car il pourrait ne pas le
regretter. Et moi non plus ? Mais ça va, la question ne se pose pas...
même si je me la pose quand même, à force d'en parler. À force aussi de
sa force, car il est plus balaise que Maël. J'ai dit que j'aimais pas
trop musclé, de toute façon. De toute façon encore, on se pose tous (les
gays) la question de savoir si avec celui-ci ou celui-là, on serait
partant. En fait, c'est si on serait plus partant avec celui-ci que
celui-là, car il est évident qu'on serait facilement partant avec l'un
et l'autre, séparément (et pourquoi pas ensemble ?). Ce n'est que du
fantasme ! car on a un peu que cela à faire, à nos âges où soit disant
tout est possible ! alors que rien ne se passe... Bon, c'est vrai que
j'ai connu Théo – on en reparlera – mais, sans vouloir rêver du Prince
charmant, on y rêve quand même.
Le mien, ce serait Maël !
ce qui tombe bien, parce que ça veut justement dire « Prince » en
breton. Sauf que là il m'ignore, car c'est avec l'autre qu'il parle et
qu'il rigole, me tournant le dos. L'autre, il n'a même pas envie de
regarder le sexe de son pote. Il le connaît déjà, et ça ne lui fait
rien. C'est ça qui est fou ! parce que moi ça me rendrait encore plus
fou de bien le voir, et plus encore de le toucher. C'est pas que c'est
normal ou pas, c'est que c'est plus fort que moi, plus fort que les
sarcasmes ou moqueries qu'on entend sur nous, plus fort que les : « pédé
», les : « enculé », les : « va sucer », qui rythment les paroles
grasses des mecs qui parlent entre eux, entre hétéros. En
quatrième, y en a un qui a dit devant d'autres, quand je passais : «
Moi, je les repère direct. Pas vrai Octave ? » J'ai rien dit. J'aurai
pu. J'ai pensé à répondre : « Moi, c'est les cons que je repère... »
mais ça aurait pu vite tourner en bagarre. J'aurai pu aussi jouer la
provoc, genre : « Ça t'as pas toujours dérangé... » histoire de faire
marrer ses potes en le ridiculisant, et même instillant le doute sur son
compte, ce qui aurait été un juste retour du boomerang. J'ai de la
répartie, et je sais que les mots peuvent toucher plus profondément
qu'un fight. Mais j'ai rien dit ; rien du tout. Qu'est-ce que tu veux
que je te dise ?
(Voir la suite et fin : texte 20)
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