16 : à la Lettre

Je l'aime bien, Léa. Enfin, comme ça. Je la connais pas trop, en fait. En plus elle est timide, et donc les contacts directs sont peu fréquents. On se voit juste parfois, en groupe, avec Emma. Emma, c'est la matriarche ! On dit ça chez les troupeaux d'éléphants, où il n'y a que des femelles et des petits, les mâles étant solitaires. Moi, je suis son GBF (gay best friend), parce qu'« une fille qui entend peser dans le game se doit d'en avoir un. » C'est elle qui dit ça, mais en rigolant – tout en le pensant un peu quand même, comme souvent ce qu'on dit en rigolant. On est amis depuis la sixième. J'allais dire : bien avant que je sois gay... Évidemment non, mais avant qu'elle le sache. Je lui ai dit en 4ème. Elle a ouvert la bouche, en grand, longtemps, sans qu'un son ne sorte, puis a fini par dire : « J'en étais sûre... » mais ça se voyait trop que c'était pas vrai, qu'elle était surprise et sans doute vexée de pas l'avoir deviné. Elle m'en a un peu voulu (sans le montrer), et puis elle est vite passée au mode : c'est génial d'avoir un GBF ! Un vrai. C'était bon pour booster sa carrière, et, de fait, c'est à ce moment qu'elle est devenue la matriarche. 

Après, des gens croyaient qu'on était ensemble, parce qu'Emma devint assez tactile avec moi, voire câline. Ça me gênait un peu, mais ça lui faisait plaisir. C'est ma pote. Elle est nature et aime la provoc. Une fois, alors qu'une fille lui demandait si on sortait vraiment ensemble, elle a répondu : « Absolument... mais, dans notre couple, le mec, c'est moi ! »

Moi je disais que c'était pas vrai, qu'on était juste amis. C'est que je ne voulais pas que tel ou tel garçon avec qui ça aurait pu marcher puisse me considérer hors de portée. Ça n'a pas plus que cela été significatif chez les garçons, mais chez Léa, oui. Il y a un mois, elle m'a envoyé une lettre :

« Octave

Rien qu'écrire ton nom, ça me fait des trucs. Tu vas certainement me prendre pour une folle, mais ce n'est pas grave. Je suis sûre que tu te doutes de rien, mais cela fait plus d'un an que je suis amoureuse de toi. Je t'aime Octave.

Je n'arrive pas à croire que j'ai écrit ça !!! Je n'arrive pas non plus à imaginer ta tête, et plus encore ton cœur. Ton cœur, je voudrai l'entendre battre, ma tête sur ta poitrine. Ton corps, je voudrais le sentir, chaud et présent. De ta bouche, je voudrais un sourire, un vrai, un pour moi seule, plein de tendresse. J'aime ton allure élégante, ta manière de marcher, de parler, de rire, de t'énerver aussi, car il a son caractère, le tempétueux Octave ! Mais moi, tout ce que tu as, je l'aime, je l'adore, je l'aime...

Emma dit que vous êtes ensemble, mais je la crois pas. Elle m'a dit aussi que tu n'es pas attiré par les filles, sentimentalement. Ça, je sais pas, mais sache que je ne te jugerai JAMAIS !! Je dis que c'est possible, car des bruits ont courus sur toi et Théo (Vallon), au collège. Vous étiez souvent ensemble et Théo a dit aussi des trucs sales à ton propos à d'autres garçons, et ça a été répété. Je te le dis parce que peut-être que tu le savais pas. Alors, je sais pas ce qu'il y avait entre vous, mais je sais qu'il te méritait pas comme ami.

Tu sais, on est à des âges où on ne sait pas forcément qui on est et ce qu'on est. On manque d'expérience. Moi (je te dis tout) j'ai juste embrassé Victor Le S. Plusieurs fois, mais pas plus ! Et c'est pour ça qu'il a été après avec Amélie C (parce que je voulais pas "plus"). C'était l'année dernière, à la soirée d'annive chez Zoé F. Tu devais venir et tu n'es pas venu... J'avais rêvé que j'allai y embrasser un garçon... Je te jure que c'est vrai !! J'ai pensé très fort que ce serait toi. Alors, quand Victor est venu vers moi, j'étais tellement déçue que tu sois pas là, je l'ai laissé faire, en imaginant que c'était toi qui m'embrassais. Du coup, j'ai trouvé qu'il embrassait bien ! Oui, je sais que c'est débile. Enfin, je suis sûre que tu embrasses encore mieux, en vrai...

Voilà, tu sais mon secret. STP, n'en parle pas à Emma, elle répète tout. Peut-être que tu vas me voir autrement. Peut-être que...Peut-être...

Léa, qui pense beaucoup à toi. »