15 : Aucune Chance
Il y a pire que d'avoir
de la peine, c'est d'en faire à quelqu'un. À quelqu'un qu'on aime, ou
quelqu'un qu'on n'aime pas. Moi, c'est le deuxième cas.
On va dire qu'elle
s'appelle Léa. Elle a mon âge, dans mon lycée ; en seconde, mais pas
dans la même classe. C'est une amie à une amie, de ma classe. C'est que,
dans ma classe, j'y ai plus d'amies que d'amis. Ça fait cliché gay,
mais les clichés sont souvent vrais, en général. C'est déjà que les
gars, les vrais de vrais, qui crachent tout le temps, qui rotent et qui
pètent, qui font des blagues de cul assez lourdingues, qui rient grassement,
qui traitent les autres de « pédé » et « d'enculé » à tout bout de
champ, etc, etc... – tu les connais aussi bien que moi –, ils sont pas
de ouf après moi. J'ai des copains, et même des amis, voire de grands
amis ! (à défaut d'un petit...) mais voilà, au foot, quand ils font les équipes, je suis toujours choisi dans les derniers, pour jouer arrière.
Bon, le foot, je m'en
tape pas mal. Le seul truc bien, c'est de regarder jouer Maël... Et le
truc encore plus bien (1) c'est que Maël, il me prend dans son équipe.
Dans les derniers, je l'ai dit, mais il me prend malgré tout, toujours.
Remarque, il a tort ! parce que si je jouais dans l'équipe adverse, vu
que je suis arrière et lui avant-centre, je le laisserais marquer tous
les buts qu'il voudrait... À moins que je n'aille « au contact ». C'en
serait un vrai, de contact, et je n'ose nous imaginer rouler-bouler
ensemble, enchevêtrés... Bah, je m'en voudrais trop de risquer lui faire
mal. Il pourrait aussi m'en vouloir (à défaut de me vouloir).
Mais bon, il a pas besoin de moi, ni pour marquer des buts (2), ni
pour... quoi que ce soit. Pour le coup, c'est lui (bien
involontairement, à son corps défendant) qui me fait mal. C'est
douloureux, mais y a rien à faire... à part se faire des illusions – et
c'est ce que je fais ! Je préfère, parce que la vie est déjà assez
compliquée comme cela.
« Laisse tomber, t'as
aucune chance. » C'est ma copine Emma qui m'a dit ça – et qui le dit
souvent, à tout le monde. Elle l'a dit aussi à Léa, mais Léa, elle ne
l'a pas écoutée. « Il aime pas les filles ! » qu'elle a insisté – alors
qu'elle sait que je déteste quand elle dit ça ! parce que c'est pas vrai
et ça peut faire croire que je suis misogyne. Sauf que, Léa, les
raisons ou la raison, elle s'en fout. Elle n'a qu'un cœur, avec plein
d'amour dedans. Et tout ça c'est pour moi.
Mais qu'est-ce que je peux en faire et y faire ? à part de la peine...
Notes :
1 : Je sais qu'on dit « meilleur » ! mais ça rend moins bien, alors que « plus bien » ça fait un effet.
2 : Il fait ce qu'il veut avec un ballon. Ça vaut le coup d'être vu.
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