14 : la Barbe
Mon grand-père, il a
tout de grand ! à commencer par la barbe. Il ressemble assez au Père
Noël, avec le gros ventre, les rides et le rire jovial. Sauf qu'il est
roux ; comme moi. Sauf que moi, je n'ai pas plus de rides que barbe.
Chez les filles, la frontière, c'est les seins qui poussent. Chez
les garçons, c'est d'abord la mue, puis la barbe. Alors, la mue, c'est
fait, mais pour la barbe, zéro. J'arrête pas de voir des gamins qui
paradent avec leur duvet sous le nez – et qui te le mettent sous le
tien, histoire de te montrer que, eux sont des hommes ! tandis que toi,
tu appartiens encore et toujours au monde inférieur des imberbes.
J'ai quand même un peu
de poils sur les mollets, mais ils sont trop clairs pour qu'on les
remarque... C'est pas du tout que je veuille être poilu comme un
orang-outang, mais au moins le minimum social ! pour pas passer pour un
immature. Mature, je le suis plutôt trop, dans ma tête. « T'es trop
sérieux. Lâche-toi un peu ! Fais comme nous. » Ce sont des trucs qu'on
me dit. L'avantage du lycée, c'est que l'ambiance change et que c'est
pas dit en moquerie, mais pour m'aider à moins m'isoler. Avant, j'ai
souvent entendu : « l'intello », histoire de me marquer comme «
différent ».
Bon, faudrait pas que
j'exagère, parce que je n'ai pas du tout été brimé ni victimisé. Même
lorsque les soupçons sur mon homosexualité se sont amplifiés et
répandus, il y a plus eu de la curiosité. Pas tellement pour le fait
lui-même – un peu quand même – mais pour mon indifférence à ne pas
vraiment m'en cacher, sans m'en revendiquer pour autant. On en
reparlera.
J'ai toujours été dans
le privé, et on y pousse pas mal à bosser, y compris entre-nous. Les
meilleurs seraient plutôt jalousés, et les plus à la traîne méprisés. Il
y a déjà une ambiance de compète ! ce que je déteste. J'aime apprendre,
c'est vrai, mais pas du tout pour être meilleur que l'autre ! juste pour
avoir plus de connaissances... Selon mon grand-père, les deux richesses
les plus importantes sont : le temps et les connaissances. Il m'a
appris à apprendre, et m'a toujours encouragé à ne pas compter mon temps
pour ce que j'aime.
Et donc, lui, il en a,
des poils au menton ! sauf que sa barbe rousse blanchit. Ça démarre par
le bas, et ça remonte ; lentement mais sûrement. Ce blanchiment, c'est
ce qui me tracassait beaucoup, plus petit, au début qu'on n'était plus
que tous les deux, car je savais que plus on blanchit, plus on est vieux
; et, plus on est vieux, plus on meurt. Ça me préoccupait. J'ai même
pensé à lui demander de la raser... mais cela aurait été pire : elle
aurait continué à blanchir sans que je puisse voir où elle en était, et
donc ne pas savoir quand il allait mourir.
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