13 : la Boulange rit
Une des choses qu'il
faut apprendre, quand tu es orphelin, c'est de ne plus dire : « maman »
ni : « papa ». Dans ta tête, tu peux. Je le faisais parfois ; et même en
m'enhardissant à plus haute voix, mais pas trop haute non plus : il ne
faudrait pas que quelqu'un entende... y compris dans l'autre monde. Ça ferait souffrir inutilement.
Et donc, ces mots
universels, les premiers prononcés, ils deviennent interdits, ils
deviennent des gros mots. « Plus jamais, tu ne pourras les dire, plus
jamais il ne le faudra. » Je me suis donc répété cette horrible leçon.
Ça s'apprend vite, mais ça ne se maîtrise pas toujours... Petit, il y a
des tas de choses qu'on ne sait pas retenir. Alors, il arrive qu'on en
laisse s'échapper, malgré soi. Et là, c'est atroce ! Et le plus atroce,
c'est qu'il y a (sur le moment) pire que la mort de ses parents, c'est
la honte... la honte de cette mort, si ce n'est de ces parents eux-mêmes
qui me mettent dans un tel embarras.
Ça m'est arrivé à la
boulangerie. J'ai dit : « Merci maman » à la dame. Sais pas pourquoi.
Peut-être juste en réflexe, ou qu'elle m'avait simplement parlé
gentiment, ou que j'avais eu besoin de le dire, inconsciemment. C'était
sorti tout seul en tout cas – et, « tout seul », c'est le cas de le
dire...
J'ai eu l'impression
d'être nu au milieu d'une arène aux gradins plein d'une foule me
regardant avec un air féroce. Mon sang quitta mon corps qui devint glacé
et tremblant, tandis que ma tête prit la teinte rouge écarlate.
Tétanisé, j'étais incapable de bouger ou parler ou même penser. C'est la
dame qui m'a sorti de ma paralysie... en éclatant de rire ! tandis que
je m'enfuyais en courant et pleurant.
Depuis, je me suis bien juré de ne plus jamais prononcer ce mot malheureux.
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