10 : Celui qui aime le plus...

J'avoue que je me suis fait des redifs cérébrales de la rencontre et du dialogue avec le petit mec qu'avait pas froid aux yeux. Bleu clair, les yeux, d'ailleurs ; assez envoûtants. Mais bon, moi, c'étaient les yeux marrons de Théo qui m'importaient – qui m'importaient d'être regardé par. Tandis que lui, il voyait plus large, plus loin ; ailleurs, quoi.

« Celui qui aime le plus est l'inférieur et doit souffrir. » J'ai lu ça dans un petit livre (1) et je l'ai tout de suite noté dans un carnet. J'aime bien noter des phrases ; des bribes un peu plus solides d'un flux mental, lui-même plus informe et insaisissable. J'aime bien aussi noter les pensées des autres ; encore que je me demande si cette phrase est une pensée. C'est d'abord le travail d'un écrivain, et je crois que sa sincérité importe moins que son efficacité. Entre ce qu'il veut dire et ce qu'il va dire, il y a son travail, il y a la littérature. Moi, pour le moment, je suis trop sincère, trop dans la vérité, pour oser me lancer dans des déformations du réel afin d'en faire une œuvre de ma main, et non de celle appartenant au destin.

Le livre parlait d'une forte amitié entre deux garçons, adolescents. Il y a aussi une fille. Mais bon, j'ai aimé parce que ça me parlait directement, ce qui est vraiment rare. Je dois quand même t'avouer que j'ai pas pu le finir... Après, ils sont adultes et discutent beaucoup. C'était un peu ennuyeux (pour moi). Je le finirai quand j'aurai leur âge.

Mais il n'empêche que c'était bien moi qui aimais le plus Théo. C'est que pour moi c'était du sérieux, tandis que lui il s'amusait. Ce n'était pas à mes dépends, car j'en avais certaines satisfactions, mais en dehors de ces moments intimes, j'ai envie de dire qu'il était un peu con comme un hétéro. Je n'ai évidemment rien contre les hétéros ! sauf qu'il y en a beaucoup (trop)... mais c'est plus qu'il y a une connerie spécifique à certains d'entre eux, du genre qui se la racontent grave, qui font les beaux alors qu'ils ont rien de spécial, à part leur grande gueule. Sauf que, la grande gueule de Théo, elle m'a déjà embrassé... Tu imagines ? Peut-être, peut-être pas, mais laisse-moi te dire que c'était quelque chose ! Ça fait passer quelques à-cotés, non ?

Enfin, j'étais prévenu, et devais savoir à quoi m'en tenir... Néanmoins, je n'y croyais pas, à la phrase. J'aurai même cru le contraire : que celui qui aimait le plus avait le plus de sensations, d'émotions, de plaisir... Mais plus d'attentes aussi, voire d'exigences, et donc de déceptions, de frustrations, etc. Tous comptes faits, la vie m'a montré que j'avais tort, et que c'est l'art qui avait raison.

Note :
1 : « Tonio Kröger », de Thomas Mann ; bonne pioche dans la bibliothèque de mon grand-père. J'ai aussi été chercher la citation en VO (allemand) : « Wer am meisten liebt ist der Unterlegene und muß leiden »

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